Auteur: Felix Molitor
L’être et son temps
Indroduction de la conférence avec diapositives de Théo Kerg en 1969 à Tremblay-en-France et 1974 à Romainville.
C’est-à-dire l’être et notre temps. (1)
C’est-à-dire l’être créatif et notre temps (2)
C’est-à-dire l’être qui donne, qui offre dans une époque où tout le monde demande, exige, prend. (3)
C’est-à-dire tout simplement l’artiste (4), cet être touché, blessé par son époque et qui essaie de le dire dans son langage (5), il ressemble au radar, il capte les ondes les plus fines de son environnement et de son temps. (6)
Pour mon compte, j’ai capté depuis toujours ces ondes. J’en ai été touché, blessé, enchaîné, emprisonné. (7) J’ai essayé de faire sauter ces chaînes, de m’évader de cette prison. (8)
C’est ainsi qu’il faut comprendre mon œuvre.
Ceux qui ont essayé de s’évader de leur propre prison ont été touchés par mon œuvre, qui, depuis 1958 pose la question : s’agit-il de vivre, de revivre, de survivre ou d’exister ? (9)
C’est une prise de conscience. (10)
Les diapositifs qui suivent montrent le devenir et l’évolution de cette prise de conscience (11) , ainsi que le langage que j’ai inventé (11) pour évoquer cette prise de conscience (12), langage essentiel (13) que j’ai appelé tactilisme en 1956 (14), ce qui signifie animation de matière sous l’influence de la lumière (15).
- La Modernité qui se définit par une existence toute de virtualités (futurum esse), dans la mouvance du devenir, secondée en revanche par la mémoire, l’avoir été qui donne au présent son poids de réel. « Si nisi fuisset, quis nostrum esse potuisset ? » (Cicéron,In M. Antonium orationes Philippicae)Comme s’il y avait eu ce quelqu’un grâce à qui nous sommes sous la forme de celui qui en nous et par nous devient. Il nous paraît opportun, en ce premier moment de tête à tête avec Théo Kerg, d’attirer l’attention sur l’élément fluide de cette pensée, et cette fluidité révèle un esprit que dorénavant nous allons qualifier d’ alchimique dans la mesure où s’y opère l’abolition des discours de rivalité entre Être et Temps, Pressenti et Conçu, Création (Œuvre) et Créature (Ouvré).
- La créativité de l’être, c’est la devise de l’existentialisme (Sartre) et relève de Hegel. Certes, mais Kerg opère, quand à lui, une claire nette équivalence entre « l’être créatif », « l’être de notre temps » et « l’être tout court ». Etre l’être sans qualité et l’être créatif il y a un rapport de l’Être au Temps ! Nous ne savons pas si ce rapport est en réalité une appartenance ou une dérivation. Ou bien c’est le Temps qui génère l’Être, ou bien c’est l’Être qui génère le Temps. En termes d’alchimie, les deux variantes parlent un même langage : le symbolisme de la transmutation qui, sur le mode de l’oxymoron(lumineuse obscurité) Œuvre la fusion entre l’Être et le Temps, qui ne peut être que « l’instant créatif » élémentairement indissociable de « notre temps ». Le vraicréateur reconnaît que le présent demande à être creusé jusqu’au Labyrinthe des contradictions entre le passé et l’avenir. La création relève de la transmutation de ces contradictoires et de la mise au monde de l’œuvre d’Art.
- Voir l’Evangélisme de Lamennais, toutes les utopies sociales de la modernité. Voir Aristide Briand dont l’action politique en empreinte et dont l’ardent pacifisme en temps de guerre représentait pour un Théo Kerg un modèle à suivre contre vents et marées, selon la devise de ce jaurésien de la première heure (qui malheureusement n’en faisait pas grand feu) : « La politique est l’art de concilier le désirable avec le possible. » Cette phrase de Briand pourrait servir d’épitaphe au tombeau de Théo Kerg, si elle ne résumait pas par l’absurde le destin de l’artiste luxembourgeois qui n’avait pas la moindre veine d’un politique… A noter que l’artiste ne s’offre pas à l’époque, mais dans l’époque – détail important parce que Kerg ne considérait jamais « son » époque comme un « Sur-Moi » ; jamais il n’était disposé à servir sous les commandements de « son temps ». Il en aurait perdu l’artiste qui Œuvre (voir note 2)
- Voir le « Voyant de Rimbaud » et « Je est un autre » ; « tout simplement » autre dans la mesure où l’acte créateur a lieu dans la plus stricte simplicité, c’est-à-dire, dans ces tréfonds de l’Être où s’abolissent les contrariétés de la Personne. Je n’est plus personne.C’est alors que se peut produire également « ce qu’aucun œil ne peut voir, ce qu’aucune oreille ne peut entendre » ( cit. de l’Evangéliste), et c’est dans cet ordre de re-connaissance » que Théo Kerg, sur un support reproduisant l’affiche de propagande, que dorénavant l’oreille voit et l’œil écoute (citation de mémoire). Très évocatrice dans ce contexte également la devise de Max Ernst, selon laquelle l’artiste ne doit être que pur regard. Et dans le même sens est à comprendre l’accusation d’un André Breton des effets réducteurs du commentaire esthétique. D’ailleurs les courants majeurs de la pensée contemporaine (psychanalyse, phénoménologie et structuralisme dans ce qu’ils supposent et expliquent les relations contradictoires entre les éléments du visible dans un contexte oxymorique produit par les interférences incessantes et relativisantes de l’invisible et de l’irrationnel).
- Bien entendu le langage de l’artiste qui ‘est pas (plus) à confondre avec le discursif et l’utilitaire. « Entendre voir et Voir entendre » (cf. le fameux carré sémiotique de Greimas) : le mécanisme interne de la Trope, mécanisme poétique par excellence dans la mesure qui fonde la Figure, c’est-à-dire à la fois le jeu d’adresse(v. adv. lt. tropa « à la fossette) et révolution céleste / solstice : la poésie est un jeu – très humain – que dirigent des mouvements cosmiques, dansun Tout-Au-Delà.Voir ainsi la poésie ( le faire-dire) aux prises souvent sanglantes (Dreyfus, Vaché, Péguy, Jaurès, Artaud, Lorca, Gandhi, Luther-King, Théodorakis, Solschénitsine, Mandela, e.a, e.a) avec le siècle, donc avec « leur » temps… Poètes militants au nom de la plus stricte simplicité !
- Voir l’expressionnisme d’une part, le dadaïsme et le surréalisme de l’autre ; voir aussi le cubisme surréaliste (voir aussi note 4)
- Voir L’Etranger, d’Albert Camus : le meurtre commis par un trop de lumière. Mais voir surtout Platon et le Mythe de la Caverne. Voir aussi le personnage de Loth (Ancien Testament) qui, pour avoir regardé en arrière, fut changé en colonne de sel. Ceci mène à notre note (8) dans la mesure où Théo Kerg avait commis « l’erreur » de revenir en arrière après avoir cherché à se libérer. Son retour en 1940 peut-il être compris comme un retour dans les affres de l’inconscient, un retour à la (terre-) mère ? Oui, dans le sens où cela s’écrit dans ce qu’une venue au monde a de contradictoire et de violent. Voir L’Homme révolté de Camus, et Voyage au bout de la nuitde Céline. Voir aussi l’épigraphe à Delphes : « Connais-toi toi-même ».Kerg, tout expatrié qu’il fût, n’avait rien d’autre pour lui que la terre douloureuse de sa venue au monde. Ses airs hautains, excentriques aux yeux de certains, ne furent l’expression que d’une souffrance de l’enfant dont l’être viscéral était l’artiste. Or celui-ci est par essence lié à son lieu. Si l’expatriation volontaire est devenue plus tard un exil subi, c’est parce que Théo Kerg a voulu, contre vents et marées, marquer son passage sur son lieu de naissance. En tant que tel, Théo Kerg était un insoumis de toutes les conjonctures de l’éphémère. On peut, certes, lui reprocher des faux-pas, mais on ne peut pas lui faire porter le poids de la trahison ; sinon on devrait en condamner bien d’autres… (voir notes 3 et 5)
- Voir Van Gogh, Dostoïevsky, Kafka, Kutter, Solschenitsine, Rothko…toutes les avant-gardes. Surtout ne pas oublier Kafka (Le Procès,Le Château, La Métamorphose). Si Kerg faisait partie de ces écorchés-vifs, c’est que tout simplement il étaitlui-même comme l’est tout créateur vrai dans le sens du lui et du même, c’est-à-dire dans l’abîme créateur où le non-dit se découvre dans l’errance de celui qui, un jour, avait accepté de se perdre « in mezzo del camin di nostra vita »(Divina Commedia)
- Voir Phénoménologie (Husserl, Heidegger) et Existentialisme (Sartre). La question du choix dans l’être(Sartre), et de l’être dans l’étant (Heidegger). Voir surtout ce qui a lieu de s’appeler humainet qui peut également s’appeler croyant dans la mesure où l’homme est ce qu’il veut être.Longtemps on a reproché à Kerg d’être là où il était. C’était une manière de trouver un bouc émissaire là où tout allait mal, là où tous s’étaient cassés ailleurs…« To be or not to be, that is the question »(Hamlet). “Da steh ich nun, ich armer Tor(…)” (Faust)….
- Il semble que le Cogito ergo sum de Descartes ne subsiste ici que dans une souffrance d’être dont la conscience n’est qu’un attribut. On est proche ici, il semble, de la théologie négative qui va d’Evagre le Pontique (avec toutes ses racines orientales jusqu’à Dante, Monteverdi, Bach, Hölderlin, Novalis, Schubert, Chopin, Büchner, Camus, Mauriac, Bernhardt, Arendt, Arvo Pärt, Celan…. A confondre ainsi (n’en déplaise aux « puristes ») les genres et leurs initiateurs, il est fort probable que se décante à tort ou à raison ce qui relève de ce qu’on pourrait oser appeler aujourd’hui, surtout dans notre Occident, le complexe de l’humain.
- Toute prise de conscience se définit au coeur d’un cheminement dont l’aboutissement ne s’appelle plus prise de conscience, mais reconnaissance définitive du réel, la sortie de la caverne, voir Platon. Kerg l’a vécue, cette sortie, mais de façon contradictoire dans la mesure où il l’avait provoquée sans demander l’avis de ses camarades du cachot, ce que ceux-ci ne lui ont jamais pardonné parce que lui, Théo Kerg avait osé regarder l’ennemi dans les yeux.
- Que veut dire évoquer une prise de conscience ? Nous retiendrons, dans le cas de Théo Kerg, le troisième sens du latin evoco « attirer, provoquer, amener à ». La prise de conscience étant provocatrice par nature (voir note 11), elle ne trouve lieu que dans une altérité qui se définit comme une progression dans l’essentiel. C’est dans ce sens-là que nous pouvons supposer que Théo Kerg se voit lui-même comme un être en perpétuelle progression (itinérance) vers sa propre vérité. Mais ce type de conscience est déjà « enceint » du but. « Vous ne me chercheriez pas si vous ne m’aviez déjà trouvé ! » (cit. de l’Evangéliste)
- Essentiel est le langage du seul désir. Or le premier sens de desideo, « rester assis ou séjourner de manière inactive », avant même de s’apercevoir que le lieu est agréable et que le séjour mérite de se prolonger, avant même de découvrir « l’assise » comme une ouverture vers une plus haute qualité d’être encore, décrit la situation de l’artiste qui ne veut pas suivre les traces des autres, mais qui choisit de devenir sa propre trace avant même de trouver son propre chemin. C’est la conditio sine qua non de l’existence de l’œuvre de Théo Kerg, la prémice du tactiliste.
- Voir tactilis « tangible, palpable ». C’est-à-dire hors convention, hors école, hors tradition. « L’acte de création se rapproche (…) davantage maintenant de l’impulsion initiale, du jaillissement émotif, voire même de l’automatisme. C’est la force d’expressivité de l’individu qui entre de plus e plus en jeu et qui domine, mais c’est aussi son degré de participation effective qui conditionne l’œuvre en soi. L’engagement de l’artiste n’est pas une vaine affirmation politique ; il répond à l’impérieux besoin de capter les reflets de la vie la plus intime, la plus profonde » (Gaston Diehl in Histoire de l’Art, t.4, Paris, Gallimard, Encyclopédie de la Pléiade, pp.1096-1097) Dans le sillage du repositionnement scientifique vis-à-vis des lois empiriques du réel-espace et du réel-temps, l’esprit humain expérimente une mutation radicale des relations logiques entre les variables mathématiques de la pensée et les variables immatérielles et non mesurables de l’inconscient dont relèvent les émotions canalisées et conscientisées dans le génie créateur du désir : la culture du signifiant.Cette nouvelle génération d’artistes, à l’instar du scientifique moderne, se met en quête d’une conciliation radicale entre l’infra et supra, et ce qu’on retient aujourd’hui du mot générique surréalismemérite tout sauf de se faire réduire en parcelle d’école, et Théo Kerg l’a bien compris, comme d’autres, parmi lesquels Kandinsky, en adhérant au groupe indépendant des abstraits novateurs. Mais « surréalistes » quelque ils l’étaient tous si l’on accepte l’appellation comme ce qui témoigne d’une volonté commune – voire universelle – de suivre l’inclinaison de l’axe des paradigmes de l’esthétique à l’instar de la science nouvelle qui dorénavant est obligée de se plier à des lois qui transcendent à l’infini les canons traditionnels des sciences naturelles et des fondements élémentaires de la physique depuis Aristote. Le même Aristote se voit dépassé pour toujours par l’éclatement apocalyptique de la Poétique au profit de l’invention permanente. Il n’est donc pas étonnant que les Présocratiques reviennent à l’ordre du jour, eux qui n’avaient pas notre science nous rejoignent dans la mesure où notre science ne peut que leur donner raison. Il n’étonne pas non plus que l’Alchimie et la Kabbale refont surface dans la mesure où notre monde se trouve exactement sur ce point mort où Nigredo et Albedo (Occident et Orient) sont à égalité – une virtualité à deux faces dont le futur montrera une possible opération vers le Bien. Michel Ragon, dans la Pléiade (op.cit.) qualifie Théo Kerg d’ « avisé » en lui accordant la création du « tactilisme ». En effet, Théo Kerg, parti d’un figuratif plutôt conventionnel, avec cependant quelques débordements expressionnistes (ses croquis au crayon font notamment penser à Kutter), il se libère des formes comme on se libère d’un vêtement trop longtemps porté. En effet, dans l’atelier de Paul Klee, le jeune Kerg découvre toutes les virtualités enivrantes d’une création libérée de l’académisme ambiant. Par ailleurs, le terme même de « tactilisme » connaît un antécédent dans le domaine de la littérature sous la plume du poète italien Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944), en l’occurrence dans le contexte du mouvement Dada. Sans entrer dans le détail de l’itinéraire très atypique de cet auteur issu du symbolisme et qualifié par après d’auteur « futuriste », retenons juste qu’en 1921 il publia un manifeste sous le titre « Le Tactilisme » qui allait largement inspirer les mouvements littéraires de l’époque en prônant, à la façon de Rimbaud, « l’élargissement et la conquête de tous nos sens ». Marinetti vise un art dans lequel le monde moderne puisse trouver sa pleine expression, et cela veut dire que l’art doit faire le désir devenir effectif et animer le monde dans toutes ses virtualités créatrices. C’est le primat du mouvement perpétuel ; Héraclite n’est pas loin, Trotsky non plus. Ce qui nous intéresse dans ce contexte à propos de Théo Kerg, c’est que le manifeste de Marinetti révèle une certaine fascination pour le danger, pour la guerre aussi dans la mesure où elle se cherche une libération du mouvement absolu, que ce soit pour le meilleur ou pour le pire. Evidemment de telles visions trahissent le profond désespoir d’une époque où la crise est totale, où l’individu n’a plus aucune chance de sortie, où l’avenir semble bouché. Marinetti témoignait d’une génération de sacrifiés. Théo Kerg, à l’autre bout et au-delà de l’entre-deux-guerres, fit de même en inventant le tactilisme en peinture. Et puis, nous ne pouvons pas nous empêcher d’établir un parallèle entre ces deux esprits quand nous nous interrogeons sur les raisons du retour prématuré de Théo Kerg en 1940, alors que l’exil dans l’Hérault lui aurait épargné le destin qui lui était réservé dans son pays natal. En se sentant attiré par les lieux de tous les dangers, Théo Kerg adopte une attitude fondamentale des dadaïstes (qui étaient des désespérés de leur temps) qui consiste à considérer le lieu de tous les dangers comme un lieu de tous les possibles (voir J.P. Sartre). Théo Kerg s’est sali les mains, et en cela il n’était pas « salaud » ! Une biographie ne tient pas lieu d’une vie si on considère celle-ci autrement que comme une simple (et absurde) succession d’événements et de péripéties. Surtout quand il s’agit de la vie d’un créateur qui a fait profession de foi, qui est entré dans son art comme s’il était entré en religion !
- Voici ce qui distingue le tactilisme de Théo Kerg. Sa définition pourrait être signée Monet ! Cependant nous sommes ici en présence de la naissance d’un art qui pousse à l’absolu la mise en figure de l’équivalence scientifique entre matière et énergie, entre matière et lumière, et qui fait une fois pour toutes la pensée humaine entrer dans la logique des particules élémentaires qui pose la question des rapports entre visible et invisible de manière inédite ; bref, qui pose la question de la métaphysique telle qu’elle mérite d’être posée depuis Einstein et Heisenberg. Paradoxalement, et nous l’avons déjà mentionné dans des notes précédentes, la pensée reprend son essor du côté de Parménide et d’Héraclite. Le tactilisme depuis Théo Kerg révèle par conséquent une pensée humaine à rebours, comme l’exigent d’ailleurs, en dépit de la course au progrès, les acquis des sciences modernes obligeant l’humain à remettre à l’épreuve tous les paramètres du savoir depuis l’Antiquité. Le tactilisme kergien est sans aucun doute la première mise en pratique, au niveau des arts, de cette inclinaison spectaculaire de l’axe mondial de la pensée humaine. Une pareille mise en pratique mérite d’ailleurs d’être mise en lumière dans les domaines de l’architecture, de la composition musicale, des arts de la scène jusqu’aux arts de la rue. En revanche, cet art nouveau qui exige une pensée renouvelée au-delà des académismes et des écoles, n’a pas fait que des heureux ! On en est venu même jusqu’à réinventer la bataille d’Hernani pour crier haut et fort que cette avant-garde ne mérite pas d’être considéréé comme de l’art, mais franchement comme du non-art. Il s’est toutefois avéré que ces défenseurs d’un académisme dépassé n’auraient aucune chance d’arrêter la machine, comme le fait remarquer Gaston Diehl dans l’Encyclopédie de la Pléiade (op.cit., p.1100) : « Ses adversaires ont beau jeu de dénoncer, comme d’habitude, l’incohérence, la dispersion des expériences réalisées, l’aspect inhumain et l’hermétisme de ce nouveau langage dont ils soulignent bien à tort qu’il est intransmissible, incommunicable, et dont ils stigmatisent l’absence de tradition, oubliant qu’il s’agit pour nombre de pays d’une révision totale, d’une véritable renaissance. Autant que l’art des millénaires dont la plénitude d’accent et la triomphante généralisation se sont forgées naturellement, sans s’appuyer comme on l’a longtemps supposé sur d’impossibles relations ou échanges, l’art d’aujourd’hui s’achemine vers une certaine unanimité parce qu’il répond aux besoins essentiels, aux besoins fondamentaux de l’homme. N’en déplaise aux émigrés de l’autre rive esthétique, à ceux qui depuis un demi-siècle espèrent contre toute attente un renversement de la situation, un retour à quelque académisme dénommé pour la circonstance art traditionnel, l’évolution en cours paraît irréversible et possède les plus grandes chances de se continuer encore longtemps, même si les excès dont elle se nourrit parfois peuvent masquer son vrai visage ou freiner son élan. » C’est ainsi que nous voyons le groupe « Abstraction – Création », dans lequel figurait également le tactilisme de Kerg, s’opposer à ce qui avait pris l’appellation des plus prétentieuses, à savoir « L’Ecole de Paris ». Bref, la haine des clans s’exprime sous toutes les formes imaginables, et Théo Kerg en souffre particulièrement étant donné son parcours professionnel à Luxembourg de 1940 à 1945 et qui mettait de l’huile sur le feu dans le camp de ses adversaires dont certains d’ailleurs, entretemps, se sont attribué une notoriété solide dans le milieu des arts au Grand-Duché.